lundi 12 mai 2008

Départ pour Puesto de Gil


Victor, le filleul de don Alberto à son départ pour le Puesto de Gil.

Voilà, nous quittons le Salto pour le Puesto de Gil, à un peu plus d'une heure de cheval.
Matilde part la première. Nous prenons du temps pour remplir les maletas (ou alforjas) du ravitaillement nécessaire à notre séjour.

Tous les chevaux étant pris par des cavaliers, nous devons répartir les charges sur l'ensemble des animaux. Les sacs à dos contenant les sacs de couchage sont particulièrement difficiles à caser.

Nous emportons des pâtes, de la farine, de l'huile, du vin, du sucré, du maté, des piles, des bougies, bref, tout ce dont nous allons avoir besoin.

Les premières kilomètres sont difficiles car je dois m'habituer au terrain. Mais, progressivement, le corps apprend à corriger l'assiette du cheval (notamment dans les descentes) et l'esprit dégagé, on peut admirer le paysage.


samedi 10 mai 2008

Matilde mise au défi

Un troupeau a été amené hier d'une parcelle éloignée. Certains animaux ont besoin d'être séparés des autres. La solution la plus simple consiste à les regrouper dans un enclos.

Une mère et son veau font preuve de mauvaise volonté et les hommes se résignent à prendre leur lazo quand Matilde, un peu à la manière d'un défi, propose de le faire toute seule.

Sous l'oeil attentif de son père, Matilde entre dans le troupeau à la recherche de l'animal qu'il faut isoler dans l'enclos.

Où est le fichu animal ?

J'écarte la mère.

Le voilà qui s'échappe.

Je le repousse en douceur vers l'enclos.

C'est bon, il entre tout seul. Matilde est chaussée d'alpargatas, la chaussure traditionnelle argentine en toile et corde tressée.

Matilde tient dans sa main un azote. Un fouet de cuir tressé au court manche en bois. C'est Antonio qui fait de ses mains ces outils de travail en tressant le cuir des animaux morts de causes naturelles ou de ceux tués pour leur viande.

Que font les gauchos pour tuer le temps ?

Il n'y a rien de mieux pour tuer le temps à la campagne qu'un bon jeux de cartes. La partie vient de s'achever, Antonio et Matilde font le compte des points. Claudio, attend, pensif, de connaître le vainqueur.

Il existe une grande variété de jeux de cartes différents en usage parmi les gens de la campagne, depuis le traditionnel truco aux formes les plus locales (comme le culo sucio) qui nécessitent une véritable connaissance encyclopédique de la part des joueurs.

Nos chevaux sont arrivés

Les chevaux paissent en attendant l'heure de repartir.

En descendant de la montagne, nous trouvons Antonio, Claudio et Matilde qui nous attendent au Salto avec les chevaux pour monter au Puesto de Gil.

Ils ont aussi quelques chevaux de bât pour transporter les provisions dont nous allons avoir besoin dans la montagne


Le cheval des montagnes est plus râblé que celui des plaines.

Le harnachement des chevaux est entièrement fait à la main par Antonio durant les longs mois d'hiver. La selle est faite par un artisan de San Franciso del Monte de Oro.

Un peu de géographie

On me fait remarquer qu'il est difficile de situer El Puesto de Gil sur une carte. C'est vrai car la cartographie argentine n'est pas aussi achevée qu'en Europe. A titre d'exemple, je n'ai pas été en mesure d'acheter une carte de radonnée pour situer l'estancia.

Sur cette carte de la région nord de San Luis on voit La Carolina (en l'honneur de Charles III, roi d'Espagne). La ligne en pointillé qui la relie à San Francisco del Monte de Oro est la route en terre que nous avons suivie en quittant le village.

On distingue deux torrents parallèles à la route. Nous avons suivi celui à gauche pour rejoindre El Salto. El Puesto de Gil est sur les hauteurs qui dominent San Francisco.

Avec ces indications, vous pouvez tenter d'explorer Google Earth.

vendredi 9 mai 2008

La sierra de Michilingue

Le Puesto del Salto (en haut, à gauche, où se trouvent les arbres), est l'aboutissement de la vallée par laquelle on accède à l'estancia (en haut, à droite). On distingue les traces de la voie carrossable tracée par les mineurs pour accéder aux veines de quartz en haut de la montagne.


Après le maté du matin, toujours réconfortant, nous attendons l'arrivée des chevaux du Puesto de Gil. Ils sont conduits par Antonio, le gaucho qui gère l'estancia en l'absence de don Alberto, et par Claudio, un jeune homme qui vient prêter main forte à la belle saison.

Grâce à un texto, devenu un moyen privilégié de communication dans les montagnes, nous savons que nous avons environ deux heures à attendre. J'en profite pour visiter les environs emmené par Victor qui est sorti ce matin de son sac de couchage comme un diable de sa boîte.

La vallée où coule le torrent est la voie d'accès qui permet de se rapprocher le plus des hauteurs de la sierra de Michilingue où se trouve l'estancia de don Alberto. Le Puesto del Salto marque le dernier point où peuvent venir des véhicules à roues, autrefois des charrettes, aujourd'hui des 4x4). Au delà, l'escarpement des montagnes n'autorise que des sentes où cheminent, difficilement les chevaux et les animaux de bât.

Victor me guide dans ma visite des environs. Il tient dans sa main une fronde. Il rêve de chasser la vizcacha. Peut-être y parviendra-t-il un jour. Au fond, en direction du Nord, on aperçoit quelques arbres. Dans cette région, ils signalent une présence humaine.

La sierra de Michilingue culmine à 2000 m d'altitude. Elle est la dernière résurgence des sierras de Cordoba, de vieilles montagnes fatiguées qui séparent la pampa des Andes. Au sommet du mont Tomalasta on devine à l'Est la grande plaine qui s'achève dans l'Atlantique et à l'Ouest les salines de San Luis, dans la riche plaine au pied des Andes où poussent les meilleurs vignobles d'Argentine.

Quand on est bien placé, tout en haut, on devine à l'Est (à droite) la pampa et à l'Ouest (à gauche) la vallée de Mendoza (l'ancienne province de Cuyo) où naît le vin argentin.

Je me fixe pour objectif de cette courte montagne un mont pyramidal qui s'élève tout près de l'habitation du Salto. J'apprends que cette hauteur a fait l'objet d'une tentative d'exploitation minière. Mais les difficultés d'accès ont rendu cette entreprise impossible.

En gravissant la pente qui mène au sommet, Victor s'exclame : « Condores ! ». Cecilia, l'épouse de don Alberto qui nous accompagne, confirme les dires du petit-garçon et ajoute : « On en voit six. Non, quatre. On les identifie grâce à la tâche blanche au cou. Les autres sont des oiseaux de proie locaux. »

J'essaie de les photographier, mais je ne dispose pas d'un téléobjectif assez puissant. Je me contente d'admirer ces superbes oiseaux faisant des cercles au-dessus de nous.

Parvenu au sommet, le vent souffle en force et la température est plus que fraîche. Je me rends compte qu'un des avantages de cette sierra est qu'au plus fort de l'été on n'étouffe pas comme dans la plaine. Il fait une température clémente, bien agréable pour un Européen en visite.

Cecilia me signale les cyprès qui marquent le puesto en m'expliquant que dans la sierra un arbre a forcément été planté par l'homme. Chaque fois que l'on aperçoit une tâche de verdure, on est sur de découvrir une maison ou les traces d'une occupation humaine.

Je grimpe sur le bloc de pierre au plus près des cieux pour photographier l'ensemble de la vallée.



Revoilà le Puesto del Salto. Devant, une retenue d'eau naturelle où viennent se poser des canards sauvages. Un enclos de pierre a longtemps servi pour garder le bétail qui devait être convoyé au marché.

J'ai tourné ma caméra vers l'Nord-Est. On voit clairement le torrent qui suit le cours de la vallée. Hier, nous avons longé ses rives en voiture et l'avons franchi à gué plusieurs fois.


Toujours la même vallée, plus à l'Est. Par ici sont conduits les troupeaux de don Alberto pour qu'ils soient embarqués dans des camions à destination de la foire.

Orienté plein Est : les camions de transport de bétail ne peuvent emprunter la route jusqu'au Salto. Ils attendent les animaux à quelques centaines de mètres de la route qui relie La Carolina à San Francisco del Monte de Oro.

Ici la vallée disparaît en haut à gauche de la photo, ce qui correspond au sud-est. Derrière les hauteurs, la pampa et à douze heures de voiture, les rives du Rio de la Plata.


«Les voilà ! » Victor montre du doigt de minuscules silhouettes qui s'approchent du Salto. « Ce sont eux », confirme Cecilia. « Antonio et Claudio arrivent avec nos chevaux. Je compte un troisième cavalier. C'est ma fille Matilde qui les accompagne. Vite, redescendons les retrouver. »

Antonio et Claudio arrivent avec nos chevaux. Ils débouchent de la sente qui vient de Puesto de Gil.

jeudi 8 mai 2008

Le mate du matin

Aux premiers rayons du soleil, on allume le feu pour chauffer l'eau pour le mate matinal. C'est une de mes premières photos depuis la perte de mes cartes mémoire.

La première chose à faire, quand les rayons du soleil s'insinuant entre le chaume nous réveillent, c'est de préparer le mate, cette infusion qui est la boisson nationale de tout le Rio de la Plata.

Dans la montagne, ce n'est pas aussi facile que dans la plaine. Guidé par Victor, le filleul de don Alberto, je suis sorti dès que la lumière du jour permettait de marcher sans se casser la figure. A quelques centaines de mètres du puesto, coule le torrent que nous avons suivi en voiture la veille.

Pendant que le petit garçon ramassait du bois mort pour le feu le long des berges, j'ai pris mon temps pour remplir un bidon d'eau.

Le torrent où je suis allé prélever l'eau pour le maté.


« Tu peux y aller, m'a dit don Alberto, l'eau des montagnes est pure comme de l'eau de source. Tant qu'elle coule en liberté, tu peux la boire. Evite seulement l'eau des mares. »

C'est une émotion toute nouvelle pour moi que de boire une eau libre, sans craindre comme dans la plaine, la pollution et les contaminations de toutes sortes.

A notre retour nous sommes chargés comme des mules. Je porte le lourd bidon d'eau tandis que Victor ramène une énorme brassée de petit bois pour le feu.

Les Argentins disposent d'une grande variété de matés différents. les plus populaires dans la montagne sont les matés parfumés aux herbes des sierra. En réalité, la plupart des familles se confectionnent leur propre mélange en ajoutant à une herbe standard les plantes qu'ils vont recueillir dans la montagne.


Une sélection des matés disponibles en Argentine (Photo Jaxxon).

De Buenos Aires aux sierras de San Luis


La place centrale de Buenos Aires. L'ancien cabildo (ci-desssus) fait face à la Maison rose, le palais présidentiel. C'est sur cette place que, voici deux cents ans, les envahisseurs anglais ont déposé leurs armes entre les mains des défenseurs espagnols commandés par un français natif de Niort, Jacques de Liniers (photo dr).

Je suis parti en Argentine à la Noël 2007. J'avais l'ambition de visiter le pays et de connaître ses gens. Les deux premières semaines de mon périple furent à l'image d'un prospectus, belles comme un magazine sur papier glacé, mais sans rencontres intéressantes, de celles qui ouvrent la porte sur un autre univers.

J'ai parcouru Buenos Aires de long en large et bas en haut, maîtrisant l'usage des autobus et du métro (subte) pour explorer cette immense métropole alanguie le long du Rio de la Plata.

Lassé de parcourir des canyons de béton se coupant à angle droit, j'ai pris le bus pour l'intérieur du pays. Après avoir visité Santa Fe et Cordoba, villes nichées dans la grande plaine qui nourrit une partie de la planète, j'ai eu envie de me rapprocher des Andes pour, éventuellement, traverser la cordillère et me retrouver à Santiago du Chili.


La pampa telle que l'on peut la voir du bus entre Santa Fe et Cordoba (photo d'Eduardo Amorim).

A la terminal (la station de bus) de Cordoba, j'ai hésité sur mon parcours. Finalement, je me suis décidé et j'ai pris un billet chez le transporteur Andesmar pour San Luis, la capitale provinciale voisine. Arrivé avant l'aube dans cette petite ville au pied des sierras qui précèdent les Andes, j'ai tué le temps en attendant le lever du soleil. En vérifiant mes bagages j'ai eu la mauvaises surprise de constater la perte, ou le vol, qui sait, de la pochette contenant mes cartes mémoire où je conservais les photos prises durant le voyage. Coup dur. Il ne me reste en tout et pour tout que trois cartes vierges. De toute évidence, ce voyage est loin de satisfaire mes attentes. Je visite le pays comme on visite un musée, sans réel contact avec la population et, pour couronner le tout, je rentre sans photos !

Mon désarroi devait se lire son mon visage comme dans un livre ouvert car un voyageur, qui tout comme moi s'ennuyait ferme, s'est penché pour me demander si tout allait bien. Il a souri en apprenant mes malheurs racontés avec mauvais espagnol et m'a encouragé à rester quelques jours à San Luis. Vous verrez, me dit-il, en cherchant bien, on trouve encore de l'or dans nos montagnes.

Ecoutant le conseil de ce voyageur, je décide de me diriger vers La Carolina, un village dans les sierras où, m'avait-on conseillé, je pouvais trouver à me loger pour pas cher. « Un bon point de départ pour explorer la région » me confia l'employé qui me vendait le billet de bus pour m'y rendre.

Arrivé à La Carolina, je découvre que le village ne conserve de son passé aurifère que des vestiges modestes. Déçu, je décide de me promener avant de me loger dans une des pensions pour touristes argentins en mal d'espacement. Fatigué et assoiffé, j'entre dans un modeste boliche ou je commande une bière.

La bière que boivent les gauchos de la montagne (photo DR).

Une femme âgée m'apporte une bouteille d'un litre de la bière locale Andes. Devant mon air étonné, elle me dit : « Vous avez tout votre temps pour la boire ». C'est vrai qu'ici le temps s'écoule différemment qu'en ville.

Vais-je rester ? Vais-je rentrer à San Luis et prendre un bus de nuit pour Mendoza ou même pour Buenos Aires ? Je ne sais trop quoi faire. La Carolina ne m'emballe guère et je me vois mal rester ici quelques jours en me contentant de randonner à pied.

M'évadant un instant de mes pensées, j'observe les autres buveurs et me rends compte que l'un d'entre eux ne fait pas très couleur locale. Il semble tout comme moi tuer le temps. En revanche, il ne broie pas du noir mais il lit un livre dont le titre est en français.

Curieux, je me dirige vers lui et découvre amusé qu'il s'agit d'un compatriote, venu tout comme moi dans ce village perdu égaré par la réputation aurifère surfaite du lieu. Notre conversation est animée et finit par attirer l'attention d'un homme du cru venu boire une bière. Sans doute étonné par notre présence en cet endroit peu fréquenté par les étrangers, il s'adresse à nous en un français accentué mais très correct.

Heureux de trouver à qui parler, nous racontons nos parcours respectifs. Mon compatriote est un historien venu en Argentine pour se documenter sur la production d'or en Argentine à la fin du XVIIIe siècle. Notre interlocuteur, Don Alberto, est un propriétaire de la région. Il possède une estancia à deux heures de voiture de La Carolina où il élève du bétail. Amusé par mes tribulations et intéressé par l'historien, Don Alberto nous propose l'hospitalité de sa propriété.

« Vous découvrirez la vie des gauchos des sierras », nous dit-il avec un grand sourire.

Don Alberto, un gaucho philosophe.


Je crois rêver en entendant ses paroles. Je vais avoir enfin l'opportunité de découvrir la vie à la campagne en Argentine. J'accepte tout de suite, sans trop réfléchir. En revanche, l'autre voyageur décline avec regret l'invitation car il doit retourner à Buenos Aires prendre l'avion pour rentrer en Europe.

En se quittant, l'historien me souhaite beaucoup de chance et avoue m'envier un peu. Je lui promets de lui envoyer des nouvelles à mon retour en France.

Sac au dos, je suis don Alberto qui monte à bord d'un 4x4 un peu fatigué. Nous prenons la direction du nord et, très vite nous abandonnons la route goudronnée pour emprunter le chemin en terre qui conduit à San Francisco del Monte de Oro, de l'autre côté de la sierra.

Au bout de quelques kilomètres nous quittons la route pour suivre une piste en direction des hauteurs devant nous : la sierra de Michilingue. La voiture peine car le terrain est difficile et je dois descendre constamment de la voiture pour ouvrir et refermer les tranqueras (barrières à bétail). La règle est simple m'explique don Alberto, cette route traverse différentes propriétés qui me doivent un droit de passage. Quand je trouve une barrière ouverte, je passe sans m'arrêter. En revanche, si elle est fermée, je peux l'ouvrir pour passer mais je dois la refermer ensuite.

La chute d'eau qui donne son nom au Puesto del Salto.

J'ai compté quatorze barrières en une heure de route. A chaque fois je descends pour ouvrir, laisser passer le 4 x 4, refermer puis remonter dans la voiture. Enfin, nous passons à gué une dernière fois le torrent que nous suivons depuis une heure. Je serre les fesses car j'ai l'impression que le moteur va y rester et nous avec. Fausse alerte. D'une main experte don Alberto conduit et change ses vitesses comme un as. Fangio survit dans chaque Argentin. Je n'ai plus un poil de sec quand nous arrivons à l'entrée de la propriété de Don Alberto : el Puesto del Salto.

Autrefois, les chemins d'accès étaient tous gardés par des peones habitant à l'année dans de petites maisons en pierres sèches et aux toits de chaume : c'étaient les maisons de retraite des gauchos fatigués par la vie. Au fur et à mesure de leur disparition, ces hommes n'ont pas été remplacés. La vie est trop rude dans ces montagnes l'hiver pour tenter qui que ce soit.

Aujourd'hui, la petite maison sert de relais aux limites de l'estancia. Le bétail y est concentré l'été pour le compter, le soigner et sélectionner les animaux qui vont être vendus.

Don Alberto m'explique que nous allons y passer la nuit avant de monter à cheval pour rejoindre Puesto de Gil.


Le soir venu, éclairés par quelques modestes lumignons, nous dînons en racontant nos vies.

A la nuit tombée, l'épouse de don Alberto prépare un dîner froid sous le chaume. Pain, fromage, viande froide, saucisson, salade, le tout arrosé par un bon vin du cru, nous aident à passer une bonne nuit de sommeil.

Avec un sourire en coin, don Alberto me demande de bien fermer la porte :

« Vous savez, il y a des pumas en maraude dans ces montagnes. »

J'aurai bientôt l'occasion de me rendre compte qu'il ne disait pas ça uniquement pour me faire peur.